Holden a 17 ans. Il n'a pas de destin, juste une vie ordinaire de lycéen. Il attend, il rêve. Il rêve d'un destin de héros… Il attend. Et puis il trouve. Justine. Elle n'est pas comme les autres .Elle est belle. Et triste. Magnifiquement triste. Elle est comme un oiseau aux ailes brisées. Un oiseau qui se souvient du ciel .Holden tombe amoureux de Justine. Mais après lui avoir tout donné, Justine s'évanouie. Peut être n'a-t-elle jamais existé… n'est elle qu'un rêve que l'on s'est fait… Holden n'a que son souvenir, et les lieux où ils se sont aimés pour mémoire. Une mémoire qui palpite.

1 . PARC – EXT / JOUR

Un parc en hiver. Le ciel est gris. Il y a un étang au centre, un petit ponton et un bosquet un peu plus haut. Sur l'étang gelé des enfants s'amusent à tester la solidité de la glace en sautant de toutes leurs forces dessus. Au bord, on aperçoit leurs parents gesticulant et les rappelant en vain.

De l'autre côté de l'étang, assis sur un banc, HOLDEN regarde la scène, amusé. Il a vingt ans à peine, brun, un bonnet bleu vissé sur la tête, les yeux clairs et triste… Il se tourne vers nous et reprend une conversation laissée en suspens…
HOLDEN
C'est en seconde que je l'ai rencontrée. Elle était
tout ce qu'un gars comme moi avait jamais rêvé.
Ouais. Justine elle était sacrément différente. Pas
comme toutes ces ahuries qui pensent à leur tonne
de maquillage et à toutes ces conneries. Non. Justine
c'était la grâce... Elle était belle. Et puis, pourquoi
je dis elle était? Elle est toujours avec moi. Toujours
belle. Pas comme les autres... Les autres je les ai
jamais aimés...
Holden prend une feuille glissée dans la poche arrière de son jean. Il la lit. C'est une feuille de cahier, arrachée, usée. L'écriture est fine et serrée, féminine.

INSERT FEUILLE
L'amour est le seul chemin...

2 . CHAMBRE HOLDEN – INT / JOUR

La chambre est ordinaire. Un lit une place, tout sage. Un placard débordant de pulls pas rangés. Sur le bureau les cahiers et classeurs de cours s'entassent. Sur l'un des murs, un rayonnage entier de livres. Et des livres, encore et toujours, empilés un peu partout par terre. Au dessus du lit, des croquis sont épinglés. Les croquis d'une jeune fille. Toujours la même. Brune aux yeux bleus tristes.

Holden entre dans la chambre et balance son sac de cours par terre. Il se déshabille et va s'allonger lourdement sur son lit. Il attrape un livre glissé sous son oreiller et se plonge dans sa lecture.

3 . DEVANT IMMEUBLE HOLDEN – EXT / SOIR

L'immeuble d'Holden est vieux et laid. Sur les marches, deux hommes, dont on ne peut deviner le visage, s'allument une pipe.

Il y a un vieux terrain de basket, à cinq mètres à peine, entouré de grillage. Sur le terrain des bouteilles brisées et des préservatifs usagés.

e l'autre côté du terrain, une rue longue et droite. La circulation est dense à cette heure de la journée. Les rares piétons se croisent sans un mot sur les trottoirs, tête baissée…
HOLDEN (OFF)
La petite fille s'est suicidée ce soir. Eteinte la
lumière.
Eteinte la vierge. Et les flammes ...

4 . CHAMBRE HOLDEN – INT / NUIT

HOLDEN
... qui allumaient son cierge.
Holden tourne la dernière page de son livre et reste un instant immobile, les yeux dans le vague, comme ébloui.Une petite lampe est allumée à côté de lui. Il a glissé sous ses couvertures.
HOLDEN
Waouh!
Il referme le livre et se retourne sur le ventre. Du bout des doigts, il caresse les croquis de la jeune fille et sourit.
HOLDEN
C'est comme Justine...

5 . COULOIR LYCEE – INT / JOUR

Le couloir est désert, longé de salles de cours où on entend le va et vient des chaises sur le parquet, des élèves qui s'installent.

Holden débouche dans le couloir, essoufflé. Son sac sur l'épaule ne fait que glisser. Il se remet à courir, lorsque le silence se fait presque total.

6 . SALLE COURS – INT / JOUR

Au tableau, un PROF note l'énoncé d'un problème de géométrie. Une trentaine d'élèves lui font face, l'air profondément ennuyé. Une fille remet un peu d'ordre dans son décolleté. Le spectacle captive un groupe de garçons.

Holden frappe à la porte et entre.
HOLDEN
Désolé, je suis en retard.

Le professeur lui fait signe d'aller s'asseoir sans un mot. Un sac laissé au milieu du passage le fait trébucher et il tombe. Sa maladresse crée l'hilarité dans la classe. Il grimace, gêné. En se relevant, il prend appui sur le genoux nu de SYLVIA. Elle est en mini jupe noire, en stretch. A la cheville elle a un faux tatouage de diablotin qui commence à s'effacer. Elle est blonde, les cheveux coupés courts et à la mode. Holden la regarde à peine. Sylvia pourtant lui fait des yeux doux et minaude.

Holden, de mauvaise humeur, part s'asseoir au fond de la classe. Les regards rieurs le suivent et se retournent…Il passe une main gêné dans ses cheveux. Son regard s'arrête sur JUSTINE. Il ne la voit que de dos avec ses longs cheveux bruns. Elle est la seule à ne pas être retournée et à ne pas rire.

Le prof rappelle tout le monde au calme…

7 . SELF LYCEE – INT / JOUR

Une vingtaine d'élèves, en file indienne, plateau à la main, se bousculent et chahutent devant les
plats. Holden est pris en sandwich entre Sylvia et un grand gaillard blond, aux allures de bûcheron
pré pubère, nommé ROMAIN.

Ce dernier essaie d'attirer son attention en désignant du regard Sylvia. Holden fait mine de ne rien remarquer jusqu'à ce que, exaspéré, il se retourne vers Romain.
ROMAIN
Hé! pas mal le coup de la glissade t'a l'heure! T'as vu sa
petite culotte au moins?
Romain part dans un fou rire aussi gras que vulgaire. Sylvia se retourne à son tour.
SYLVIA
Dis moi, ça va mieux que tout à l'heure? T'étais pas très
réveillé hein?
Holden ne répond pas.
SYLVIA
C'est dommage qu'on te voit pas plus souvent en dehors du bahut...

Elle se rapproche de lui, ses cheveux frôlent sa mâchoire. Holden a un mouvement de recul
imperceptible.

SYLVIA
J'aimerais bien qu'on fasse un peu plus connaissance...
HOLDEN
Moi, je crois pas.

Sylvia fronce les sourcils, interloquée. Elle veut rajouter quelque chose mais les élèves derrière eux les poussent pour avancer.

Ils arrivent devant les plats de résistance: des rognons en sauce. Dans les assiettes blanches, les
rognons ont quelque chose d'indigeste.

8 . RESTO SELF – INT / JOUR

De grandes baies vitrées, qui donnent sur la cour, occupent tout un côté de la salle. Une vingtaine de
tables géométrisent l'espace. Des tables de quatre, six et douze places. Tout est blanc, presque
médical.

Holden est installé sur l'une des plus grandes tables. En face de lui, Romain avale ses rognons à
grands renforts de bruit, un peu de sauce coule sur son menton.
Holden a un haut le coeur. Il repose ses couverts et repousse devant lui son assiette sans y avoir
quasiment touché. Il se laisse glisser au fond de sa chaise et balaie la salle du regard, désoeuvré. Il
aperçoit alors Justine

Elle est seule à une table, au fond de la salle, tout contre les grandes baies vitrées. Sur sa table, il y a
une nappe rouge en papier. Devant elle, une simple assiette de fruits, des quartiers de
pomme et un raisin. Elle picore négligemment dedans, sans appétit, les yeux perdus dans le vague,
au delà des baies vitrées. Ses grands yeux bleus sont embués de larmes. Elle rêve ou s'ennuie prodigieusement. Elle est belle.

Holden est subjugué par le ballet de sa main blanche qui semble voler entre l'assiette et sa bouche.
Ses dents blanches croquent les grains de raisins un à un, tout doucement.

Deux élèves, deux garçons, viennent soudain à côté d'elle, leurs plateaux à la main, désignant les
places vides face à elle.
HOLDEN (TOUT BAS)
Non! Partez.
Justine lève à peine les yeux sur eux. Elle prononce quelques mots qu'Holden ne parvient pas à
entendre. Les deux garçons s'assoient face à elle.

9 . COUR LYCÉE – EXT / JOUR

La cour est entourée d'immeubles sombres et de hauts grillages. Il y a un préau jonché de papiers gras et de sacs de cours. Quelques arbres tentent de pousser sur le bitume.
Certains élèves sont assis par terre et révisent, d'autres par groupe de quatre ou cinq, sont allongés sur une bande de pelouse sale, les filles la tête sur le ventre des garçons...

Justine est assise au pied d'un platane. Les feuilles tombent autour d'elle. Un peu plus loin, appuyé contre l'un des piliers du préau, Holden l'observe.

Justine a le regard tourné vers une fenêtre en face, au second étage. Une VIEILLE DAME, arrose des fleurs (pourtant quasi fanées) plantées dans une petite jardinière sur le rebord de la fenêtre. Ses gestes sont mal assurés, elle tremble. Elle doit régulièrement s'arrêter pour reprendre son souffle.

Justine, toujours, ne la quitte pas des yeux. Holden ne quitte pas des yeux Justine.

A la fenêtre, la vielle dame lâche son arrosoir dans le vide. Elle laisse échapper un petit cri
imperceptible, Justine sursaute...
Alerté par le bruit, son MARI, se précipite à la fenêtre. On le sent fébrile également. Il prend sa femme tendrement dans ses bras, lui caresse les cheveux. Dans ses yeux, il y a toute la tendresse du monde.

Justine les regarde, les bras refermés autour de sa poitrine qu'elle serre très fort. Ses yeux sont à
nouveau embués de larmes.

Le mari referme la fenêtre. On le voit s'éloigner, un bras passé sur les épaules de sa femme.
On ne parvient pas à savoir lequel des deux soutient l'autre... Ils disparaissent peu à peu de l'embrasure de la fenêtre.

Justine pleure silencieusement, les bras toujours serrés autour d'elle, la tête posée sur son épaule.

10 . UNE RUE – EXT / SOIR

Une nuit sale et triste commence à tomber. Il y a du vent, beaucoup de vent. Justine avance contre lui, en tenant les pans de son manteau rouge tout contre elle, son sac de cours dans le dos.

Les passants la croisent sans la voir, la bousculent sans s'excuser. A chaque fois, Justine accuse le coup, se recroquevillant un peu plus sur elle-même et accélérant en même temps le pas.

Un homme l'interpelle. C'est un SANS ABRIS. Il doit avoir la quarantaine; ou peut être juste vingt ans. Il a un grand imper noir et un pull en laine beige. Il a été beau avant la misère.
SANS ABRIS
T'aurais quelque chose pour moi?
Justine s'arrête.
JUSTINE
J'ai pas d'argent.

SANS ABRIS
Je te parle pas de ça.
Il ouvre son imper, soulève son pull crasseux et sur son torse lui montre l'endroit du coeur.
SANS ABRIS
Le reste ne nous fait pas vivre, non?

Justine est confuse. Elle balbutie quelques mots inaudibles. Le sans abris prend son bras et le serre dans sa main.

SANS ABRIS
Un peu de chaleur, un peu d'étoiles... c'est tout.
Justine tente de se libérer, prise de panique.
JUSTINE (AFFOLEE)
Je ne sais pas de quoi vous parlez. Je n'ai pas ça. A peine
pour moi alors.
Le sans abris la lâche soudain, désolé.
SANS ABRIS
Alors, t'es plus pauvre que moi. T'as tout à espérer.

11 . DEVANT IMMEUBLE HOLDEN - EXT / SOIR

Holden traîne des pieds, le tête baissée, plongé dans ses pensées. Au pied de l’immeuble, sur les marches, un homme d’une trentaine d’années, totalement défoncé à l’héro, pique du nez. On l’appelle HURRICANE à cause de sa tête de vieux boxeur usé, son bonnet toujours enfoncé jusqu’aux yeux.
HURRICANE (A MOITIE ENDORMI)
Salut petit... T’as pas une clope pour moi?
Holden met un moment à réagir et à s’apercevoir que c’est à lui qu’on parle.
HOLDEN
Tu sais bien que je fume pas.
Holden commence à monter l’escalier et cherche ses clefs devant la porte.

HURRICANE
Et du temps? Du temps, t'en as pour parler?
Holden se retourne, soupire
HOLDEN
Tu sais bien que...

HURRICANE
Je sais, t'as rien à dire aux autres. Ça tombe bien, j'ai envie
de rien écouter. Juste envie d'entendre une voix, c'est tout.
Holden va s'asseoir à coté de lui
HOLDEN
C'est pas de ma faute si j'aime pas les autres. Ils sont là,
comme des moutons, qui veulent tous la même chose au
même moment...Putain! C'est pas ça la vie! C'est pas de
savoir qui se tape la plus belle moeuf du bahut,
ou ce genre de connerie! Ils croient que ça m'intéresse, que je
dis rien par peur ou je sais quoi, mais non!... On
a rien à se dire, ils m'énervent...
Holden, énervé, tourne la tête vers Hurricane qui semble endormi. Il sourit.
HOLDEN
T'as raison ouais

12 . DEVANT IMMEUBLE HOLDEN - EXT / NUIT

Hurricane dévore un sandwich jambon beurre et Holden regarde les étoiles. Ils sont tous les deux quasi allongés sur les marches.

HURRICANE
Putain! j'avais la dalle... merci.
HOLDEN
Pas de quoi… Hé, tu sais pourquoi je parle avec toi?
Parce que je sais que tu comprends rien.
HURRICANE (MALICIEUX)
Je comprends si, mais j'oublie. Je m'encombre pas
de la pensée des autres. Même s'il s'appelle
Justine.
Holden sourit et croise ses bras derrière sa tête.

HOLDEN (L'AIR REVEUR)
Je pense souvent à elle, tu sais... On vivrait dans une
super campagne, un lieu reculé du monde entier où plus personne
jamais lui laisserait avoir cet air triste. On habiterait en
haut d'une colline et le matin il y aurait toujours du soleil
du côté de son lit. On aurait des enfants. On serait seul au
monde... On serait bien

HURRICANE
Y aura forcément une guerre pour foutre en l'air ton paradis
Les hommes savent que se détruire.
HOLDEN
Ouais(rêveur) mais nous on sera pas séparé. Les bombes
tomberont autour de nous mais on s'en foutra. On écoutera de la
musique, on montera le son pour ne rien entendre. On se serrera l'un
contre l'autre et on mourra comme ça, dans les yeux l'un de l'autre..

13 . GYMNASE COLLEGE – INT / JOUR

Le gymnase est vieux et la peinture s'écaille sur les murs. La classe est réunie dans un coin de la salle, assise autour du prof de sport. Un adonis à l'air crétin. Les filles le regardent du coin de l'oeil, dans leurs petits shorts et leurs caleçons moulants. Les garçons regardent les filles.

Justine est assise un peu à l'écart. Elle semble perdue et triste. Ses cheveux remontés en chignon laisse apparaître son cou blanc.
PROF DE SPORT
On va faire des équipes mixtes pour le badminton.

La classe commence à s'agiter, les uns appelant les autres, les groupes se constituant...
PROF DE SPORT
Mais c'est moi qui vais faire les équipes.
Holden est debout, appuyé au mur. La perspective d'une partie de badminton ne l'enchante pas. Du coin de l'oeil il observe Justine.
PROF DE SPORT
Julien et Magali, ensemble.
Justine, les genoux remontés sous le menton, regarde apeuré le mouvement de va et vient qui se met en place et sursaute à chaque prénom énoncé.
PROF DE SPORT
... Romain et Sylvia... Cédric, Elodie...
Ceux qui sont appelés se lèvent, vont chercher leur raquette et commencent à jouer... Le groupe assis diminue peu à peu, le choix aussi. Holden espère et se rapproche peu à peu de Justine

PROF DE SPORT
Holden avec Justine.

14 . DEVANT MAISON JUSTINE – EXT / JOUR

La maison est un petit pavillon de banlieue banal, sur un étage. C'est une cité dortoir. Justine et Holden sont devant le petit portail du jardin.
JUSTINE
Merci de m'avoir raccompagnée. C'est la première fois.
Justine est rougissante mais le regarde droit dans les yeux. Holden a posé une main sur le portail et s'amuse à faire sauter un peu de peinture. Il cherche quelque chose pour la retenir. Ni l'un ni l'autre ne semble vouloir se quitter.
HOLDEN
Tu vas écrire ce soir, hein? Tes poèmes?

JUSTINE
Avec eux, je ne suis pas seule.
HOLDEN
Moi aussi je suis seul. Mais là, on est deux.
Si tu veux, on peut
JUSTINE
Je sais pas. Je sais pas si je peux. Je sais pas si
je veux.
HOLDEN (BALBUTIANT)
Okay... Okay, pas de problème, je veux pas que
tu crois que je… Enfin, tu vois... On se voit demain?
JUSTINE
Oui. Oui, on se voit demain.
Justine hésite à l'embrasser sur la joue, puis se retient. Elle lui fait un petit signe de la main et ouvre le portail. Holden la regarde s'éloigner et entrer dans la maison.

15 . CHAMBRE HOLDEN – INT / SOIR

Holden est accoudé à sa fenêtre. Le soleil se couche derrière le terrain de basket. Des enfants jouent en rigolant. La ville semble presque belle. Il sourit.

16 . RESTO SELF – INT / JOUR

Justine et Holden sont assis à la même table, contre les grandes baies vitrées. On ne peut pas entendre ce qu'ils disent à cause du bruit des conversations.

Ils sont assis l'un en face de l'autre et regardent la même fenêtre de l'immeuble d'en face. Celle derrière laquelle vivent les deux petits vieux. Sur le rebord de leur fenêtre les fleurs ont refleuries.

Justine a un grand sourire et Holden caresse timidement sa joue humide.

A grand renfort de bruit, trois élèves viennent s'installer à leur table, les bousculant un peu au passage. Justine se referme sur elle même, les yeux dans le vague.

17 . UNE RUE – EXT / SOIR

Justine rentre seule des cours. Il y a du vent et il neige. Elle se sert dans son petit manteau rouge. Elle s'arrête soudain devant un grand panneau publicitaire. Un homme est en train de recouvrir l'ancienne affiche par celle d'un film. En gros plan, une image de guerre, violente et rouge.

Justine baisse la tête, comme blessée au plus profond d'elle même et poursuit son chemin.

HOLDEN (OFF)
D'habitude je m'arrangeais toujours pour la ramener jusque chez
elle après les cours. Un jour, j'ai pas pu la raccompagner, j'étais malade si
vous voulez tout savoir, et c'est elle qui me l'a raconté. Que quand elle
rentrait comme ça, seule, elle se sentait perdue, isolée du monde. Paumée quoi.
Elle avait tout juste dix sept ans, comme moi, et bon dieu, on le voyait trop
bien que quand elle marchait, c'était comme la jeunesse innocente qui se
brûlait, qui se crevait dans sa solitude. Elle avait jamais connu d'amant,
jamais éprouvé le moindre sentiment. C'était l'effervescence sans l'offense.
Elle en crevait de pas vivre, de pas aimer…

18 . UN SQUARE – EXT / SOIR

Un oiseau se pose juste devant ses pieds. Elle se penche doucement pour le caresser. L'oiseau se laisse faire, puis s'envole pour atterrir quelques mètres plus loin, au pied d'un banc. Deux jeunes adolescents s'y embrassent. Ils sont beaux et comme seuls au monde.

Justine les regarde, immobile, les yeux au bord des larmes. Elle serre ses bras autour d'elle et se laisse glisser sur la neige. Elle met un petit moment à se ressaisir. Elle essuie ses larmes et se remet debout. Lorsqu'elle passe devant le couple elle accélère le rythme de sa marche, en se mordant les lèvres pour ne pas pleurer et ne pas se retourner vers eux

19 . DEVANT MAISON JUSTINE – EXT / NUIT

Justine est devant sa porte, les yeux encore rougis de larme. Elle cherche ses clefs. A l'intérieur, les bruits d'une dispute.

20 . SALON JUSTINE – INT / NUIT

Le salon est décoré sans goût et est en désordre. Ca sent les fins de mois difficiles et les meubles de récupération. Quelques napperons et bibelots essaient de donner le change en vain
Le PERE de Justine est affalé sur le canapé, devant la télé. Il a une quarantaine d'années, en marcel blanc, gonflé de bière et d'ennui.
LE PERE
Et puis tu fais chier! Tu crois que ça m'amuse cette
vie de merde?!
On entend un bruit de casserole et de vaisselles dans la pièce à côté.
Justine entre et bouscule sa MERE qui sort au même instant de la cuisine, une casserole à la main.
Elle a la quarantaine aussi. Petite et fatiguée. Coquette malgré tout.
LA MERE
Bonjour ma grande.
Elle l'embrasse distraitement sur les cheveux et fond droit sur son mari.

LA MERE
Pas ce soir hein? C'est tout ce que je te demande. Entre deux
cuites tu peux bien.
LE PERE
Entre deux quoi?! Tu veux te les taper les huit heures de chaîne,
c'est ça?
LA MERE
Me reproche pas à moi d'être un minable
Il se lève, lève une main sur sa femme, se retient.

21 . CHAMBRE JUSTINE – INT / NUIT

La chambre est petite et mal éclairée. Quelques peluches traînent par terre. Une vieille table en bois, collée contre un mur, devant la fenêtre, sert de bureau. Il y a plein de papiers dessus, des bouts de poèmes griffonnés… Il y a une vieille armoire aussi dont l'une des portes est un miroir.

Justine est sur son lit, recroquevillée. Au pied du lit, une télé en noir et blanc qui diffuse un film d'amour. Elle monte le son pour couvrir les bruits de la dispute qu'on entend toujours.

INSERT TV

Un homme et une femme sont sur une plage, en tenue de
soirée. Ils se regardent amoureusement.

FIN INSERT TV
Justine jette d'abord un œil en coin sur la télé puis se laisse captiver par l'histoire.

INSERT TV

Le HEROS TV délaisse sa partenaire et se retourne vers
Justine. Il cogne contre la paroi de l'écran.


HEROS TV
Justine? Laisse moi rentrer

22 . CHAMBRE JUSTINE - INT / NUIT - NOIR ET BLANC

Le héros TV est assis sur le lit, à côté de Justine. Il lui tient la main, amoureux. Il l'aide à enfiler son manteau rouge par-dessus sa chemise de nuit, et ils sortent.

23 . SALON JUSTINE - INT / NUIT - NOIR ET BLANC

Le salon semble plus grand et plus éclairé. Les vieux meubles ont laissé place à une décoration design et élégante.

Les parents de Justine sont assis côte à côte sur le canapé. Ils sont très bien habillés. Ils rient et leurs regards pétillent comme au premier jour.

Justine et le héros TV passent une tête dans la pièce, sans faire de bruit. Justine est grave.

HEROS TV
C'est ça que tu voulais?

JUSTINE
Pas tout à fait encore...
Elle l'entraîne par la main hors de la maison

24 . PLACE CARROUSSEL - EXT / NUIT - NOIR ET BLANC

La place est déserte et illuminée de centaines de lampions. Il y a un homme seulement qui joue de l'harmonium dans un coin.

Au centre de la place, un immense carrousel doré, et des cheveux de bois rutilant. Justine et le héros TV sont sur l'un d'entre eux. Le héros est derrière Justine qu'il sert tendrement dans ses bras. Justine à la tête renversée en arrière, les bras en croix. Il lui parle au creux de l'oreille

HEROS TV
Et là?

JUSTINE
Et là je sais que je suis belle pour quelqu'un...
Ce n'est plus
inutile
Elle rit de plus belle, grisée. Elle se penche tant en arrière que soudain il la laisse s'échapper d'entre ses bras et elle tombe.

25 . CHAMBRE JUSTINE - INT / NUIT

Justine est étendue par terre, au pied de son lit. Elle se relève difficilement, comme groggy.
La télévision affiche la MIR . On n'entend plus que ce bruit blanc.

Justine avance vers une glace collée sur l'armoire. Face au miroir, elle se regarde, se scrute. Dans le reflet son visage vieilli. Elle se force à sourire mais le reflet reste grave et triste. De dépit elle se jette sur son lit, le visage caché dans l'oreiller. Elle tourne la tête d'un coté et se retrouve nez à nez avec le héros TV, allongé à ses côtés. Il n'est plus en smoking mais en jean et pull.

HEROS TV
Ne m'en veux pas. N'en veux pas à tes rêves de te laisser plus seule encore. Ne leur en veux pas d'être trop beau. Justine pleure, caresse doucement les lèvres du héros TV qui lui sourit. Ils ferment tous deux les yeux.

26 . ETANG PARC – EXT / NUIT

La lune est pleine et éclaire le parc. Justine descend vers l'étang. Elle a juste son manteau rouge enfilé par dessus sa chemise de nuit blanche, virginale. Elle grelotte. Elle s'assoit au bord de l'eau, à côté du petit ponton. Elle a un cahier entre les mains. Elle l'ouvre, en parcours les pages, les caresses et une à une les arrache et les jette à l'eau.

27 . BOSQUET PARC – EXT / NUIT

Holden est agenouillé derrière un taillis. Il épie Justine en contre bas. Elle fait de grands gestes et est agitée, comme si elle parlait avec quelqu'un. Elle arrache toujours les pages d'un cahier.
Holden hésite à la rejoindre puis se ravise désolé et s'assoit contre un arbre, le dos à l'écorce. Il se retourne, jette des coups d'oeil derrière son dos. L'écorce lui fait mal.
HOLDEN
T'es avec elle toi aussi, c'est ça? J'ai pas à
l'épier, c'est ce que tu penses, hein? Toute
façon je sais bien qu'elle vous a tous dans la
poche, vous êtes à ses pieds. Toi, les fleurs
tout quoi. Qu'est ce qu'elle ferait d'un prince
charmant comme moi! J'suis même pas un
héros.

28 . ETANG PARC – EXT / NUIT

Justine jette la dernière page de son cahier. Elle regarde derrière elle, à regret, hausse les épaules et se lève. Elle laisse tomber son manteau par terre, marche et entre dans l'eau de l'étang. Elle s'enfonce peu à peu.

29 . BOSQUET PARC – EXT / NUIT

Holden, inquiet, se lève. Il regarde autour de lui, hésite. Justine au loin disparaît dans l'eau. Holden se précipite vers l'étang.
HOLDEN (TOUT BAS COMME UNE LITANIE)
Faut que je sois un héros… Faut que
je sois un héros.

30 . ETANG PARC – EXT / NUIT

Holden se jette à l'eau. Il plonge à plusieurs reprises à la recherche de Justine. A chaque remontée, il perd un peu plus de son sang froid… A la 4éme remontée, il ressort la tête de l'eau en brandissant la main de Justine dans la sienne.

31 . PONTON PARC – EXT / AUBE

Justine et Holden sont assis l'un à côté de l'autre, les pieds dans le vide, au dessus de l'eau. Holden gêné fait glisser sa main vers celle de Justine. Il tourne son visage vers elle
HOLDEN
Tu...
Justine met un doigt sur sa bouche et lui sourit. Elle se rapproche de lui et lui prend la main. Intimidé Holden caresse son menton du bout des doigts, caresse ses lèvres... Justine ferme les yeux.

32 . DEVANT IMMEUBLE HOLDEN - EXT / JOUR

Hurricane est assis sur la dernière marche, un journal ouvert sur les cuisses. il y entoure consciencieusement quelques annonces. Holden sort de l'immeuble en sifflotant. En passant à côté de lui il lui lance un paquet de cigarettes sur les genoux. Hurricane le remercie en ôtant son bonnet.

HOLDEN
Tout va bien?

HURRICANE
C'est à toi que je dois demander ça!… Moi, tu vois, j'ai
décidé de me chercher un boulot… Alors j'entoure,
j'entoure… Et Justine?


HOLDEN
On a rendez vous


Holden ne tient pas en place. Il s'étire longuement, fait bouger ses bras, ses jambes…

HOLDEN
Ca va faire trois ans qu'on se connaît… Tu verrais, elle rit
tout le temps maintenant…

HURRICANE
Et alors?

HOLDEN
Et alors?! Tu me demandes et alors?! Mais voilà, c'est
tout! Ca suffit!
Holden hausse les épaules, désabusé, salue à peine Hurricane et part en courant à son rendez vous.

33 . SQUARE - EXT / JOUR

La neige a recouvert le square. Justine et Holden sont sur un banc. Elle est allongée, la tête posée sur ses genoux. Elle le taquine en le chatouillant. Lui essaie de se concentrer sur quelques feuilles qu'il tient à hauteur de ses yeux.

HOLDEN
Tu sais, ils sont très bons tes poèmes.

JUSTINE (DISTRAITE)
Peut-être.
Elle s'assoit tout contre lui et tente, par jeu, de lui prendre ses feuilles des mains.
JUSTINE
Mais on s'en fiche de ces satanés poèmes. Moi je t'aime!
J'ai envie de vivre, de rire…!
Elle se lève d'un bond et se campe devant lui
JUSTINE
J'ai plus besoin de mots maintenant puisque tu
es là…
Elle l'embrasse et le tire par la manche.
JUSTINE
Allez viens! J'ai envie de voir les lumières de la ville…
Holden se fait prier quelques secondes, pour la forme, puis se lève à son tour et l'entraîne en courant hors du square.

34 . AVENUE - EXT / JOUR

Il y a beaucoup d'agitation dans la rue. C'est l'époque de noël. Les passants sont chargés de paquets et se croisent de mauvaises.
Justine est à mille lieux de ça, main dans la main avec Holden, ils flânent devant les vitrines décorées et scintillantes. Justine s'émerveille devant certaines même comme une gosse. Lui fait la grimace en haussant les épaules indifférent.

A une dizaine de mètres d'eux, Justine reconnaît le sans abris rencontré il y a plusieurs mois. Il fait la manche, assis par terre, dans la plus totale indifférence.

Justine lâche la main d'Holden et le rejoint


SANS ABRIS (LA RECONNAISSANT)
Hé, le petit moineau.

Justine s'agenouille devant lui et l'embrasse sur les deux joues.


JUSTINE
Maintenant, je sais de quoi tu parlais.

L'homme a un clin d'œil complice. Holden les rejoint à son tour et les interroge du regard

JUSTINE
J'avais juste une dette.

35 . CHAMBRE HOLDEN - INT / SOIR

Holden est allongé sur son lit, au téléphone.

JUSTINE (OFF)
… ils sont partis jusqu'à dimanche.
HOLDEN
Et?
JUSTINE (OFF)
A huit heures la porte sera ouverte et…

Justine se tait. Le silence est gêné. Holden se relève, s'assoit sur le bord de son lit.

HOLDEN
Je viendrai.
Il raccroche et reste un moment les yeux dans le vide, impressionné. Puis il ouvre un placard et commence à fouiller dans ses affaires. Il prend des pulls, les examine, les jette par terre.

36 . DEVANT MAISON JUSTINE - EXT / NUIT

Holden, le visage emmitouflé dans une grosse écharpe est devant la porte de la maison. Il fait froid, il sautille sur place pour se réchauffer. Il regarde sa montre, il est presque huit heures.
Il s'apprête à sonner mais se rappelle que c'est ouvert. Il pousse timidement la porte et entre.

37 . ENTREE JUSTINE - INT / NUIT

Le rez-de-chaussée est plongé dans l'obscurité. En face de la porte d'entrée, les escaliers qui mènent au premier et à la chambre de Justine. La chambre est entrouverte et une douce lumière filtre.

Holden est mal à l'aise et a chaud. Il est en sueur. Machinalement il se déchausse et enlève son manteau et son bonnet qu'il laisse en plan par terre. On n'entend pas d'autre bruit que les battements de son cœur.

HOLDEN
Justine…?
Dans le silence, on perçoit un léger soupir et la voix de Justine. Différente, sensuelle, comme un appel irrésistible

JUSTINE (OFF)
Viens… viens mon amour…
Holden pose un pied sur la première marche de l'escalier qui grince atrocement et le pétrifie. Les battements de son cœur sont de plus en plus rapides… Il monte avec précaution sur la seconde qui fait un bruit d'enfer. Son cœur résonnent de plus en plus fort, comme une cavalcade…

Lorsqu'il arrive devant la porte de la chambre entrouverte, les battements de son cœur se calment jusqu'à devenir silence.

40 . CHAMBRE JUSTINE - INT / NUIT

La chambre est éclairée par de nombreuses petites bougies placées autour du lit, par terre.

Holden pousse la porte timidement et entre. Il reste debout, grave, le regard fixé sur Justine qui est allongée sur le lit. Elle est en déshabillé rouge, transparent. Ses longs cheveux noirs cachent sa poitrine et caressent ses hanches.

Sans un mot, elle lui fait signe de la rejoindre. Allongé à son tour face à elle, Holden se laisse faire comme un enfant. Justine le déshabille doucement, chaque geste des deux amants est orchestré comme une danse. Ils ne se quittent pas des yeux.

Nus tous les deux, Justine presse ses lèvres sur celles d'Holden puis descend jusqu'à son ventre… Holden ferme les yeux de plaisir.

41 . ECRAN NOIR

HOLDEN (OFF)
Cette nuit là, on a tout fait. C'était beau.
C'était sale. C'était pur… Les gens disent qu'il y a des choses
qui se font pas mais moi je préfère les faire parce
que Justine dans mes bras, Justine partout en moi
et dans moi… C'était nous. Juste nous. On sait
jamais si il y en aura d'autres des moments comme
ça! Faut les vivre. Si je pouvais recommencer,
je le referais, tout de suite…

42 (SUITE 1) . PARC - EXT / JOUR

Les enfants au loin, jouent toujours sur l'étang gelé. Holden lui est toujours assis sur le banc, les yeux pleins de larmes qu'il essuie avec son bras.

HOLDEN (RENIFLANT)
Et… tu sais? Tu sais ce qu'il y a de plus drôle?
A côté de lui, assis sur le banc, un homme d'une trentaine d'années, PASCAL prend des notes sur un cahier.

PASCAL
Non. Non, je sais pas.
HOLDEN
Le truc c'est qu'il n'y a jamais eu de Justine puisque c'est moi qui
l'ai inventée. Parce que j'suis tellement timide et maladroit avec les filles,
j'ai tellement peur qu'elles rient de moi, que j'préfére encore écrire ma propre
histoire. Bon c'est sûr, ça va certainement faire rire deux ou trois crétins.
Même des gens bien…
Holden regarde Pascal du coin de l'œil, ce dernier le rassure et l'encourage à continuer.
HOLDEN
Pff… Toute façon je m'en fous. Justine, c'est ma meilleure amie. La seule. Sûr que j'aurais dû la rencontrer.
Les deux hommes se lèvent et descendent tranquillement vers l'étang, comme s'ils reprenaient une promenade.

HOLDEN
Tu crois que ça sera vraiment une héroïne
ma Justine?
PASCAL
Oui. En tout cas, moi je l'ai vue comme je te vois.
Holden sourit un peu tristement et lui prend son cahier des mains. Il le feuillette, en lit quelques lignes, survole les pages

HOLDEN
Tout est là oui.
Il lui rend le cahier.
HOLDEN
Tu crois qu'ils comprendront? Qu'ils sauront?
Pascal lui fait signe que oui

HOLDEN
Elle m'a écrit un poème tu sais. Quand tu feras
ton livre, ce serait bien qu'il finisse comme ça.
Je voudrais pas que tu marques le mot fin, tu
comprends?
Holden reprend la feuille de cahier arrachée et usée, glissée dans la poche arrière de son jean. Il s'assoit en tailleur par-terre, dans l'herbe. Pascal s'assoit à côté de lui. Il s'apprête à noter sur son cahier mais se ravise, ému, lorsqu'Holden se met à lire.
HOLDEN
La petite fille est morte, c'est encore l'hiver qui la porte. Elle se disait que son feu devenait froid. Elle se disait qu'elle finirait bien à vieillir. A toi qui me lis, mon ami je t'en prie, surtout ne m'enterre pas comme ça. Pense à celle qui s'est éteinte ici bas. Car tu le sais, je connais toutes tes souffrances. Je connais toutes tes peurs, tout tes pleurs. Je sais exactement ce que tu ressens.